La fermentation alcoolique du vin, comment ça se passe ?

Vous arrivez au caveau d’un vigneron pour déguster et acheter du vin. 2 clients sont déjà là, verre à la main. « Et vous fermentez en levures indigènes ? » demande l’un d’eux. 😳😳😳

Pour vous éviter de faire cette tête, et de vous sentir franchement largué la prochaine fois que vous irez déguster, cet article va vous expliquer ce que c’est que « fermenter » et « en levures indigènes », en bref ce que c’est que la fermentation alcoolique. Vous saurez tout et vous pourrez même essayer d’épater vos copains en posant vous-même cette question d’initié !😜

I-La fermentation alcoolique, ça consiste en quoi ?

1-Qu’est ce qu’une fermentation

Séquence « sérieux ». 🤓

Des définitions de « fermentation » sur Internet, c’est pas ce qui manque 🤔. Du coup j’en ai retenu que 2.

Celle de Wikipédia

« La fermentation est un processus métabolique convertissant généralement des glucides en acides, en gaz ou en alcools pour en extraire une partie de l’énergie chimique (…) Elle (… ) ne permet qu’une production d’énergie limitée »

Celle du Vikidia (encyclopédie des 8-13 ans, donc simple 😁)

« La fermentation est la transformation de certains sucres, en général par des micro-organismes. La définition juste implique une transformation du sucre en l’absence d’oxygène. »

Que faut-il retenir de tout ça ?

  • au départ, il y a un glucide (pour nous c’est le sucre)
  • ce sont des micro-organismes qui réalisent la transformation de ce glucide
  • cette transformation se fait en l’absence d’oxygène
  • elle produit de l’énergie, en quantité limitée.
Grappes de raisin mûr
Grappes de raisin mûr

2- Qu’est-ce donc que la fermentation alcoolique ?

🥁🥁🥁

La fermentation alcoolique est la transformation du sucre du raisin en alcool – l’alcool « éthylique » – par des levures.

« Éthylique » (d’où le nom d’éthylotest pour le mesurer), car les alcools sont une classe de molécule en chimie. Il en existe des dizaines. Et on en retrouve certains dans le vin.

Mais le principal alcool du vin, c’est l' »éthylique ».

La transformation est donc la suivante :

Sucre –> Alcool « éthylique » + CO2 + chaleur

En plus de l’alcool, les levures fabriquent d’autres composants : d’autres alcools, des acides, des arômes, …

a- Pourquoi la quantité d’alcool varie d’un vin à l’autre ?

Eh bien mon capitaine, vous le savez sans doute déjà, parce que la quantité de sucre varie d’un jus de raisin à l’autre, en fonction du cépage, en fonction du climat de l’année (plus de sucre les années chaudes).

D’alleurs, depuis 15-20 ans, le « degré » moyen dans le vin a augmenté de 1 point : un vin qui faisait 12% il y a 20 ans fait aujourd’hui 13%.

Pourquoi 12% : parce qu‘on mesure l’alcool du vin en pourcentage du volume de vin. Un vin à 12% vol contient 12 cl d’alcool pour 1l de vin ; autrement dit dans ce litre de vin, il y a 12 cl d’alcool et 88 cl d’autre chose ( en particulier 80 cl d’eau).

Ainsi donc,

  • pour obtenir 1% d’Alcool, il faut 17 g de sucre
  • Pour obtenir 12%, il faut 200g de sucre/ litre de jus
  • les vins à 13% sont issus de jus à 217g sucre/litre,
  • et ainsi de suite.
Fermentation alcoolique : degré d'alcool différent selon les vins
Différents vins, différents % alcool

b- Quand la fermentation alcoolique est elle terminée ?

Logiquement, la fermentation est terminée quand il n’y a plus de sucre dans le vin. Logiquement.

Mais le vigneron peut vouloir faire un vin où il reste un petit peu de sucre, pour faire un vin demi-sec, moelleux ou liquoreux.

Alors, quelle quantité de sucres reste t’il dans le vin en fin de FA ?

Voilà voilà, tout est précisé dans le tableau suivant :

Vin secMoins de 4 g/l
Vin demi-secde 4 à 18g/l
Vin moelleuxde 12 à 45g/l
Vin liquoreuxplus de 45 g
Quantité de sucre dans le vin en fonction du type de vin

En moyenne, nous commençons à percevoir le sucre dans une boisson quand il y en a plus de 5g/l.

Dans un vin sec, on ne sent donc pas le sucre dit « sucre résiduel », c’est-à-dire qui y reste,

Mais la fermentation peut-elle s’arrêter toute seule avant qu’il n’ait plus de sucre ?

Oui, mon capitaine ! Et c’est même un des cauchemars des vignerons. J’expliquerai dans le § suivant comment cela peut arriver.

Mais si la fermentation est bien partie et que le vigneron veut qu’il reste un peu de sucre, il va devoir l’arrêter. Avec quoi ? Avec du SO2 qui tue les levures (oui je sais c’est cruel, mais de toute façon elles seraient mortes de faim à la fin de la fermentation, faute de sucre à manger alors …🤗).

Justement intéressons nous maintenant à celles par qui l’alcool arrive, j’ai nommé : les levures.

II- Les levures, acteurs de la fermentation

Les levures sont des micro-organismes constitués d’une seule cellule en forme d’oeuf. Elle mesure environ 6 à 8 millièmes de millimètre. On ne peut donc la voir qu’au microscope 🔬.

1- D’ou viennent le levures de fermentation

Les levures sont présentes à la vigne, surtout sur la peau des raisins, un peu sur la rafle et sur les feuilles. Elles sont très répandues dans la nature ; elles sont transportées par les insectes et le vent

Pourquoi plus de levures sur la peau des raisins ?

Levures sur la peau des raisins prêtes pour la fermentation alcoolique
Levures sur le raisin

Les raisins sont comme nous, leur peau respire. Nous à travers des pores, eux à travers des « stomates ».

Quand le raisin est quasi-mûr, il se forme autour de ces stomates des micro-fissures par lesquelles un peu de jus sucré sort. Quelle aubaine pour les levures, open-bar ! Bon faut pas s’emballer non plus, y a pas de quoi faire une orgie quand même ; pour ça faudra attendre que le raisin soit pressé.

On appelle ces levures de la peau des raisins, les levures « indigènes ».

Pourquoi ? Par opposition aux levures dites « sélectionnées » dont je vais vous parler un peu plus bas.

Mais racontons d’abord la vie des levures au cours de la fermentation.

2- Vie et mort des levures au cours de la fermentation alcoolique

Dès que le jus est libéré en grande quantité au contact des peaux, les levures vont baigner dans le jus sucré. Elles vont alors se multiplier très activement pour transformer tout le sucre en alcool. Le sucre est un aliment pour la levure et l’alcool un déchet de son métabolisme.

Un peu d’histoire

C’est LAVOISIER qui, au 18ème siècle, a le premier décrit la réaction chimique qu’est la fermentation alcoolique. Un deuxième chimiste du nom de CAGNARD de La TOUR a montré qu’elle était réalisée par un microorganisme capable de se multiplier.

Mais c’est Louis PASTEUR qui, au début des années 1860, a démontré que ce sont levures qui la font. Cependant les levures avaient été découvertes bien avant, dans la bière, sans qu’on les ait reliées à la fermentation.

Source : Wikipédia

Au départ il y a quelques milliers de levures ds le jus de raisin ; pendant la fermentation elles sont plusieurs dizaines à centaines de millions à flotter dans le moût, à se gorger de sucre.

morceaux de sucre
Sucré – Crédit photo Coralie Ferreira

Elles meurent de faim (😢) une fois la fermentation est terminée … puisqu’il n’y a plus de sucre.

Leurs cadavres 💀 vont alors se déposer au fond des cuves ou des barriques, formant le composant essentiel des lies (cette boue gluante 🤢 et violacée qui reste au fond d’une cuve une fois qu’on l’a vidée).

3- Apparition des premières levures sélectionnées

Jusqu’au début des années 1970, le vigneron n’avait que le choix de presser ou de faire macérer son raisin et de laisser faire la nature, c’est-à-dire les levures indigènes présentes sur les peaux des raisins.

Ces levures se multipliaient plus ou moins bien dans le moût et réalisaient vaille que vaille la fermentation. Dans la plupart des cas, ça se passait bien ; dans d’autres, le vin pouvait prendre des goûts (et surtout) des arômes pas vraiment recherchés. A cause de levures pas très efficaces ou carrément nuisibles.

Au cours des années 1970 des laboratoires d’oenologie commencent à sélectionner les « meilleures » levures dans les jus de raisin.

Les meilleures, c’est-à-dire ? Celles qui :

  • fermentent tout le sucre du moût, rapidement
  • produisent des arômes plaisants
  • sont résistantes à l’alcool et au SO2

a- Résistantes à l’alcool ?

Vous allez rire (euh … en fait c’est peut-être pas drôle 🙁) : les levures produisent de l’alcool, mais ce même alcool les intoxiquent. Elles y résistent quand il n’y en pas trop (moins de 10-11%), puis ensuite elles s’empoisonnent peu à peu …

Donc c’est important d’avoir des levures résistantes à l’alcool, d’autant plus aujourd’hui où les jus sont très sucrés.

b- Résistantes au SO2 ?

Le SO2 est à la fois antiseptique (il tue les microorganismes) et antioxydant. On en met dans le pressoir, les cuves et les barriques, pour éviter l’installation de micro-organismes qui produisent de mauvaises odeurs, par exemple. S’il tue les micro organismes, il peut aussi tuer les levures. Sauf si elles sont résistantes au SO2, comme certaines bactéries sont résistantes aux antibiotiques !

Baies de raisin couvertes de levures microscopiques
Baies de raisin couverts de levures microscopiques

4- Comment fabrique t’on des levures sélectionnées

Fabriquer n’est pas forcement le bon terme. Car elles sont prélevées dans les jus de raisin, donc ce sont des levures « naturelles », puisqu’elle proviennent des vignes.

En revanche, une fois qu’on est sûr qu’une levure a des qualités intéressantes, les industriels vont la faire se reproduire dans des fermenteurs industriels, pour en récupérer de grandes quantités. Elles seront ensuite déshydratées puis conditionnées en sachets, pour être vendues aux vignerons.

Qui n’aura plus qu’à les réhydrater dans de l’eau tiède, avant de les verser dans une cuve.

Depuis le début des années 2010, il en existe une variété immense, les vignerons ont l’embarras du choix. Et il en sort de nouvelles chaque année.

Quand ces levures sont apparues, la plupart des vignerons se sont mis à les utiliser. Il y avait l’attrait de la nouveauté, bien sûr, mais surtout c’était plus simple et plus sûr pour la fermentation.

Puis, au début des années 1990, certains, voulant faire du vin plus « naturel », ont recommencé à faire comme leurs ancêtres : faire fermenter leur vin avec les levures du raisin, dites indigènes

III- Le mieux pour la fermentation : levures indigènes ou sélectionnées

Entre les tenants des 2 options le débat fait rage depuis quelques dizaines d’années.

1- La fermentation par les levures indigènes

Risque à prendre
Les levures indigènes c’est plus risqué

Vous aurez compris que c’est moins sûr puisqu’on ne connait pas ces levures :

  • quelle quantité de sucre elles sont capables de fermenter,
  • vont-elles se développer rapidement dans le jus,
  • quels arômes vont-elles apporter.

Les avantages :

  • le vigneron peut dire que son vin est plus « naturel » puisqu’il n’a pas rajouté de levures dedans.
  • sur la peau des raisins, il n’y a pas qu’une variété de levures mais plusieurs : on parle de souches ; chacune a ses caractéristiques ; le fait qu’elles soient plusieurs font qu’elles sont complémentaires ; le vin pourra être plus complexe.

Ironie du sort, les vignerons qui font cela sont plus souvent en bio que les autres ; or le cuivre utilisé pour lutter contre le mildiou en viticulture bio est toxique pour les levures. Il semblerait qu’il y en ait moins et en moins grande variété que sur des raisins non bio.

2- La fermentation par les levures sélectionnées

Je l’ai dit plus haut, on sait quasiment tout sur elles. Donc si le vigneron les utilise correctement, il est sûr que la fermentation de son vin va aller jusqu’où il veut et qu’il n’aura pas d’arômes désagréables dans son vin.

Avec elles pas de surprise, donc.

Mais on leur reproche d’uniformiser les vins. Pourquoi ? Parce qu’elles produiraient les mêmes arômes quelque soit le jus de raisin qu’elles fermentent.

L’exemple type est celui d’une levure encore très utilisée dans le Beaujolais pour faire le Beaujolais nouveau, levure qui produit des arômes de bonbon acidulé et de banane.

Ok.

Mais depuis 15 à 20 ans les choses ont un peu évolué. Il y en a maintenant une telle variété de levures sélectionnées qu’on peut choisir celle qui permettra de faire le vin qu’on souhaite faire.

Photomontage de visages illustrant la Diversité des levures de fermentation
Diversité

De plus, on leur reproche de ne pas être « naturelles ». Pourtant ce sont des levures recueillies dans du jus de raisin, tout ce qu’il y a de plus naturel. On a simplement étudié leurs aptitudes et jugées qu’elles étaient bonnes.

3- Existe t’il des levures de terroir ? Le débat n’est pas clos !

En utilisant que les levures indigènes, les vignerons cherchent à faire un vin de terroir ; or des études récentes (années 2010) et plus anciennes (années 1990) ont montré que la levure de terroir est un mythe.

En étudiant la population de levures sur plusieurs années dans quelques parcelles, les chercheurs se sont rendus compte, en particulier, de la chose suivante : une souche de levures donnée reste 2 à 3 ans dans une même parcelle, puis ensuite elle disparait remplacée par d’autres ; et on peut la retrouver encore 2 à 3 ans après, puis elle disparait à nouveau.

Pourtant ces études ne parviennent pas à convaincre les vignerons partisans de l’utilisation des levures indigènes. La levure de terroir reste un mythe tenace. Il y aura toujours des vignerons qui préfèreront fermenter avec leurs « propres » levures, isolées sur les raisins de leur parcelles.

Il faut dire que c’est aussi un argument marketing, puisque les vignerons l’indiquent souvent sur l’étiquette de leur vin, pour montrer que leur vin est plus « naturel ».

Maintenant que vous savez l’essentiel sur la fermentation alcoolique et les levures, si vous avez aimé l’article, cliquez sur j’aime la-juste en dessous et partagez. Merci !

Sources :

Traité d’oenologie – Microbiologie du vin et Vinifications – P. Ribéreau-Gayon, D. Dubourdieu, A. Lonvaud, B. Donèche

Etude 2020 réalisée pour le Conseil Régional Bourgogne Franche Comté

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